Le seigneur des anneaux, notes sur le livre 6 (Tome 3)

Sauron forge l'Anneau, Alan Lee

Le Mordor, un univers totalitaire

Le Mordor est un pays entièrement voué à l'industrie de guerre, c'est une terre asséchée et minérale où l'eau manque et où il faut faire venir de la nourriture d'autres pays. C'est aussi un monde totalitaire où le Seigneur et ses Nazgul règnent par la corruption puis la violence et la peur sur les orques et les humains qui le servent. Dans le chapitre le pays de l'ombre on apprend que les soldats du Mordor ont un numéro de matricule et il est répété que les orques - même s'ils passent leur temps à se battre entre eux - ne veulent pas spécialement se battre pour le compte de quelqu'un d'autre. 

Et que penser au sein de cet univers totalitaire de l'Oeil de Sauron, le Seigneur Sombre du Mordor qui peut voir à distance et traquer ses ennemis ?

"Prenez le moulin de Sablonnier, tiens. L'Boutonneux l'a jeté à terre presque aussitôt arrivé à Cul-de-Sac. Après il a fait venir une bande d'Hommes crasseux pour en construire un plus grand, tout plein de rouages et de machins pas possibles. Y a que cet imbécile de Ted qui y a vu du bon, et il travaille là-bas à nettoyer les roues pour le compte des Hommes, là où son père était meunier et son propre maître. L'idée du Boutonneux, soi-disant, était de moudre plus, plus vite ; et il en a d'autre des moulins : mais il faut du blé avant de moudre, et le nouveau moulin avait rien de plus que l'ancien. (...) ils sont toujours à donner du marteau, à nous enfumer et à nous empester (...) et ils déversent leurs saletés (...) ils ont souillé tout le cour intérieur de l'Eau."

Nous parlerons dans L'Indic n°30 du Seigneur des anneaux et du rapport de cette oeuvre avec la nature et l'écologie, mais nous pouvons voir ici qu'un certain équilibre a été brisé. Si au Mordor Sauron règne par la peur et le contrôle, il en va de même dans la Comté où le paisible peuple des Hobbits connait quelques déboires.


Alan Lee – The Black Gate Is Closed
Alan Lee

La dépression


"Vous rappelez-vous de ce petit bout de lapin, monsieur Frodo ? demanda-t-il. Et notre campement sous le talus ensoleillé, au pays du Capitaine Faramir, le jour où j'ai vu un oliphant ?
"Non, je crains que non, Sam, répondit Frodo. Du moins, je sais que ces choses sont arrivées, mais je ne puis les voir. Aucun goût de nourriture, ni de sensation d'eau, ni rumeur de vent, aucun souvenir d'arbre, d'herbe ou de fleur, ni de reflet de lune ou d'étoile ne me reste. Je suis nu dans les ténèbres, Sam, et il n'y a aucun voile pour me séparer de la roue de feu. Je commence à la voir moi-même de mes yeux éveillés, et tout le reste s'estompe."

Le mal qui ronge Frodo et qui s'amplifie tout au long du voyage vers le Mont du Destin dans le Mordor ressemble parfois, souvent même, à une dépression.

Chanter pour survivre


Le chant est d'une importance cruciale dans l'oeuvre de Tolkien. Il sert à transmettre le savoir, la tradition, il sert à colporter des nouvelles et des exploits, c'est le chant des elfes qui fait fuir le Cavalier Noir dans la Comté, il sert aussi à prophétiser et à survivre. Sam se met à chanter alors qu'il se trouve au coeur de la tour de Cirith Ungol, ce chant lui permet de regagner des forces (un peu comme le chant de Billie Holiday permet à Chet de survivre dans Tarif de groupe de Hugues Pagan). La chanson et le fait de chanter redonnent du courage, elle permet de se rattacher à son monde et de communier avec lui.

Et là, doucement, à sa propre surprise, au bout de ses longues et vaines recherches et de son affliction, mû par un quelconque élan de son coeur, Sam se mit à chanter.
Sa voix, dans la tour sombre et froide, avait un son grêle et tremblotant : c'était celle d'un pauvre hobbit fatigué, (...). Il fredonnait, tantôt de vieilles comptines du Comté, tantôt des bribes de la poésie de M. Bilbo qui lui venait à l'esprit, comme autant de souvenirs fugitifs de son pays natal. Puis, soudain, une nouvelle force monta en lui, et la tour retentit de sa voix, tandis que des paroles inventées venaient se marier spontanément à la simple mélodie.

Et tout fini en chansons, de ces chansons qui ont beaucoup de pouvoir, dont celui de remplir les larmes de félicité.

Et toute l'armée rit et pleura, et parmi la joie et les pleurs, la voix claire du ménestrel s'élevait comme un tintement d'argent et d'or ; et tous firent silence. Et il leur chanta, tantôt en langue elfique, tantôt en parlé de l'Ouest, et bientôt leur coeurs, blessés par des mots délicieux, débordèrent, leur joie saillit comme des épées, et ils glissèrent en pensée à des régions ou la douleur et le plaisir coulaient de pair, et où les larmes sont le vin même de la félicité.

Ces larmes coulent aussi à la fin du Seigneur des Anneaux.

Beaucoup de sujets sont abordés tout au long de l'oeuvre : le mal, le courage, l'espoir, la guerre, le pouvoir, les migrations, l'industrialisation, le changement, la dépression, le voyage... Je ne vous cache pas que je m'attendais à une histoire et une oeuvre beaucoup plus "gentille" même si Les Enfants de Hurin m'avait mis la puce à l'oreille quant à la faculté de J.R.R. Tolkien à raconter des histoires désespérées. Une autre remarque me vient à l'esprit : étrangement les peuples des terres du milieu ne semblent pas construire de temple ni vouer de culte à un ou à des dieux ; c'est comme s'il(s) faisai(en)t partie intégrante du monde. Le Silmarillion devrait nous éclairer sur ce point.